Les ressources en pierres locales, au cœur de l’approvisionnement des chantiers pierre sèche
Table des matières
Pierre sèche et réemploi
Une des qualités du mode constructif de la pierre sèche est la possibilité de réutiliser dans une restauration de mur l’ensemble des matériaux de l’ouvrage existant. Tout peut être recyclé, selon la qualité de la pierre en question, soit en pierres à bâtir, soit en cailloutis pour le drain derrière le mur.
Cependant, suite à la gélivité et l’effritement naturel de certaines pierres, ou simplement la problématique des pierres qui ne se retrouvent plus sur le site suite à des roulements dans une pente ou des pillages, il en manque toujours. En général, on peut estimer la capacité de réutilisation de pierres du site dans un ouvrage à un tiers seulement.
Dans la charte de qualité ABPS, les membres de l’association s’engagent à faire partager leurs connaissances notamment pour valoriser les bâtis vernaculaires, respecter les types d’appareillages locaux, prendre en compte la réutilisation et le recyclage des matériaux trouvés sur place ou à proximité.
Pour identifier les ressources en pierre de réemploi existantes et en faciliter la circulation à l’échelle d’un territoire, le Parc naturel régional de l’Aubrac expérimente la mise en place d’une plateforme numérique d’échange de pierre. Pour en savoir plus sur ce projet, consultez le site du PNR Aubrac.
Cette initiative, développée dans le cadre du programme Laubapro, rencontre de nombreux échos et son déploiement dans d’autres territoires est à l’étude, notamment à l’échelle de la Région Occitanie.
Carrières, maillon de la filière pierre sèche
L’association ABPS travaille, depuis sa création en 2002, avec des carriers de plusieurs départements français au sujet de l’approvisionnement en pierre. La carrière est l’un des maillons de la filière « pierre sèche« , et il est impératif de maintenir des petites exploitations artisanales qui permettent de fournir localement une pierre adaptée à ce système constructif. Le développement du marché de la pierre sèche procure un produit de vente supplémentaire aux carriers, mais il faut les sensibiliser sur les besoins spécifiques des bâtisseurs en termes de fourniture.
La pierre utilisée dans des ouvrages varie en fonction de son environnement géologique. Ainsi, tous types de pierre peuvent rentrer dans la composition d’un mur en pierre sèche (granit, gneiss, schiste, calcaire, grès, basalte, lave, marbre, …) à condition d’avoir une résistance mécanique adaptée. L’artisan doit être en mesure de connaitre la provenance des matériaux qu’il a commandés pour son ouvrage.
Les principales exigences techniques applicables aux produits de construction en pierre naturelle sont disponibles sur le site du Centre Technique des Matériaux Naturels de Construction (CTMNC). Ce document concerne exclusivement les pierres référencées.
Quelques outils techniques :
- Carte des carrières produisant des roches ornementales et de construction (ROC)
- « Prospection en matériaux locaux de calcaires et schistes pour la filière pierre, sud du Massif central : rapport méthodologique et résultats« . L’ensemble des résultats obtenus lors de cette étude, réalisée dans le cadre du programme Laubapro, est disponible sur demande auprès de Tsilia Poussin, animatrice du programme pour l’association ABPS : tsiliapoussin[at]abps.fr
- Listhoscope du CTMNC, base de données des pierres naturelles françaises
Extraction de matériaux hors carrières
Extraction sur site
Autrefois, l’extraction de matériaux se faisait sur place ou à proximité du chantier, par souci d’économie de moyens et car la réglementation le permettait. Il existe de ce fait une grande diversité de composition et de couleur de pierres selon les lieux de chantiers, comparé aux faibles possibilités de fourniture en pierre locale existantes aujourd’hui – un beau travail de rénovation peut être gâché en utilisant une pierre ne correspondant pas au site.
Aujourd’hui, bien que le Code Civil reconnaisse que le propriétaire du sol est aussi propriétaire du sous-sol, ce droit ne donne donne pas l’autorisation d’exploiter les ressources qui s’y trouvent, notamment en extrayant la roche. L’extraction de quelques pierres dans un champ reste tolérée mais ne peut s’appliquer à la quantité de pierre nécessaire pour une construction d’ampleur. En effet, le Code minier analyse toute extraction de matériaux, même pour une utilisation personnelle et quelle que soit la quantité extraite, comme une exploitation de carrière et donc soumise à des règles strictes en matière d’urbanisme et d’environnement.
Les carrières sont des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) et nécessitent une autorisation préfectorale. Seules les extractions destinées au marnage des sols, à la restauration de bâtiments anciens ou protégés et les sondages de carrières marbrières bénéficient d’une procédure allégée de déclaration (voir ci-dessous « micro-carrières »).
Pour obtenir l’autorisation préfectorale, le demandeur devra faire réaliser une étude de dangers et justifier qu’il dispose des capacités techniques et financières, ceci avant la réalisation d’une enquête publique. Par ailleurs, le projet devra être compatible avec les conditions générales du schéma départemental des carrières.
Pour en savoir plus sur l’extraction de matières minérales, consulter :
– https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/economie/l-utilisation-des-ressources-naturelles-ressources/article/l-extraction-de-matieres-minerales-en-france#Extraction-des-carrieres-de-roches-massives
« Micro-carrières »
Le contexte environnemental, social et économique a conduit à une réduction importante des sites d’extraction de matériaux.
Aussi, pour répondre aux exigences patrimoniales (cohérence entre les matériaux disponibles localement et les matériaux utilisés dans les constructions) et environnementales (limitation des distances parcourues par les matériaux de construction, logique de circuits-courts…), il existe une procédure d’extraction de matériaux dans le cadre de carrières déclarées encadrée par l’arrêté du 26/12/06 relatif aux prescriptions générales applicables aux exploitations de carrières soumises à déclaration.
Cette procédure a notamment été appuyée par M. Morel-à-L’Huissier, député de Lozère, intervenu dans le cadre des difficultés d’extraction en pierre locale à l’Assemblée Nationale. Avec l’Association Maisons Paysannes de France, ils sont parvenus à faire adopter un amendement à l’article L 515-1 du code de l’environnement (adopté par le Sénat le 13 mai 2004) qui apporte un nouveau dispositif concernant les carrières. Cet article parle des carrières qui sont soumises à l’autorisation dans le cadre du régime des installations classées, avec certaines exceptions.
L’amendement élargit le champ des exceptions pour inclure des « carrières de pierre de faible importance destinées à la restauration des monuments historiques classés ou inscrits ou des immeubles figurant au plan de sauvegarde et de mise en valeur d’un secteur sauvegardé en tant qu’immeubles dont la démolition, l’enlèvement ou l’altération sont interdits ou au bâti ancien dont l’intérêt patrimonial architectural justifie que la restauration soit effectuée avec des matériaux d’origine ».
Dans le cadre du programme LAUBAMAC, en 2017, le Parc naturel régional des Causses de Quercy a mené une expérimentation sur l’ouverture d’une « micro-carrière » (ou carrière déclarée) pour une commande publique. Les différentes étapes administratives et juridiques de cette démarche sont présentées dans le « Guide technique d’extraction de lauzes calcaire en micro-carrières » réalisé par le PNR des Causses du Quercy.
Depuis, plusieurs initiatives de ce type se développent et permettent de palier au manque de matériaux locaux disponibles. Mais cette solution d’approvisionnement ne saurait se substituer à l’installation de carrières autorisées, seul cadre permettant une extraction durable et professionnelle (liée à des savoir-faire spécifiques) des matériaux de construction.
Problématique de l’approvisionnement en pierre
La question épineuse de l’approvisionnement en pierre est réellement un frein à l’activité économique en ce qui concerne le bâti en pierre sèche. Un problème de « qualité en quantité » est constaté aussi bien par les artisans maçons travaillant la pierre sèche, que par les carriers eux-mêmes.
Le manque de carrières de proximité avec une pierre qui corresponde à la fois à la demande locale et à sa typologie propre est également à retenir. Par ailleurs, il est nécessaire de faire valoir le caractère spécifique des exploitations artisanales qui, jusqu’alors, sont soumises aux mêmes procédures administratives et aux mêmes charges financières que les exploitations industrielles, alors que leur impact sur l’environnement et leur modèle économique sont radicalement différents.
L’inquiétude qui se fait sentir et les grognements professionnels qui se font entendre dans ce domaine d’activité nécessitent une attention particulière. Diverses idées et initiatives sont avancées par les professionnels de la pierre sèche et relayées par ABPS pour combler ce manque de « réponse d’approvisionnement de proximité ».
Voir à ce propos la fiche synthèse sur la problématique de l’approvisionnement en pierre en Cévennes, réalisée en 2011.
Perspectives de l’approvisionnement pour la pierre sèche
Plusieurs actions ou pistes de recherche ont été explorées et continuent de se développer pour analyser la problématique d’approvisionnement en pierre locale et pour tenter d’y apporter des solutions.
Groupe de travail interprofessionnel « approvisionnement et valorisation des ressources locales »
Les exploitants de carrières artisanales sont depuis longtemps associés aux réflexions des artisans bâtisseurs pour trouver des solutions communes pour un approvisionnement local durable. Cependant, les professionnels des carrières, alors peu nombreux et ne bénéficiant d’aucune représentation collective, sont souvent restés en marge de ces échanges.
L’opportunité de s’associer aux professionnels de la couverture en lauze dans le cadre du programme Laubapro a impulsé une nouvelle dynamique, permettant de réunir à la fois les artisans carriers, lauziers et bâtisseurs pour poser les bases d’un diagnostic partagé sur les enjeux actuels et futurs de l’approvisionnement en pierre. Plusieurs rencontres ont été organisées par les associations Artisans Lauziers Couvreurs et Artisans Bâtisseurs en Pierres Sèches pour créer un cadre d’échanges interprofessionnels, socle d’un travail collectif en faveur du développement d’une filière pierre artisanale et patrimoniale unie.
Laubapro : valoriser et pérenniser les ressources locales
L’artisanat de la lauze et de la pierre sèche exigent des matériaux extraits avec un savoir-faire spécifique, essentiellement basé sur des gestes manuels qui n’ont pas toujours été transmis. Le programme Laubapro a donc permis l’expérimentation d’une formation spécifique, créant les conditions de transmission de ces savoir-faire et apportant un ensemble d’informations juridiques et administratives permettant à tout porteur de projet d’ouverture d’une carrière en vu de produire des matériaux de construction « bruts » (lauze et pierre à bâtir), de se lancer avec les meilleurs bases possibles.
3 modules introductifs à cette formation sont disponibles en ligne. Ils ont été réalisés par Yannick Fogué, prestataire de l’IMT Alès dans le cadre d’une action Laubapro visant à élaborer un référentiel de formation pour l’exploitation de carrières artisanales :
- Module 1 – Vidéo 1 généralités sur les carrières artisanales
- Module 1 – Vidéo 2 réglementation applicable aux carrières artisanales
- Module 2 – Vidéo 1 Les bases de la géologie
Mais le risque de la perte des savoir-faire des artisans carriers n’est pas le seul frein à la pérennité de cette activité.
La problématique de la sauvegarde des carrières artisanales, leur relative invisibilité et le manque d’attractivité du métier de carrier ont été abordés grâce à une action portée par la Communauté de communes Comtal Lot Truyère (Aveyron). Cette collectivité, consciente de l’enjeu que représentait l’arrêt d’exploitation d’une carrière locale, productrice d’un matériau à fort caractère patrimonial (la lauze bleue du Cayrol), a soutenu la reprise de cette exploitation. Le retour d’expérience apporté par cette Communauté de communes est un véritable levier pour encourager toute initiative de ce type.
Un film a été réalisé dans le cadre de cette action et peut être consulté ici.
LAUBAMAC : action sur une « micro-carrière«
Au sein du programme LAUBAMAC 2016-2018, le PNR des Causses de Quercy a porté une fiche action sur l’ouverture d’une « micro-carrière ». Cette action a permis d’étudier et d’expérimenter la micro-carrière comme outil de réponse à la demande en matériau dans la filière lauze calcaire et aux autres filières de restauration du patrimoine.
Principe : Prise en charge de l’ouverture d’une micro-carrière pour la restauration d’un toit en lauze calcaire (de 20 à 50m2). Extraction réalisée loin des carrières de lauze calcaire existantes, dans une ancienne carrière ré-ouverte pour l’occasion sous la forme juridique de « micro-carrière ». Restauration d’une toiture avec les lauzes extraites dans ce cadre, sur un ouvrage public sélectionné suite à un appel à projet lancé aux collectivités locales à proximité de la « micro-carrière ». Le matériau brut est cédé à la collectivité qui s’occupe de sa mise en œuvre.
Une analyse de retour sur l’investissement a été réalisée permettant de répondre sur l’opportunité de l’outil « micro-carrières » pour les filières du patrimoine au regard :
- Des coûts et volumes d’extraction de la lauze en rapport au marché potentiel
- Des principales contraintes réglementaires du décret permettant l’extraction en micro-carrière (fléchage de la ressource sur la restauration des patrimoines protégés et volume d’extraction maximal autorisé de 100 m3/an et 500 m3/5 ans)
- Des impacts sur les paysages, sur l’opinion publique et l’image du matériau.
Mémoire sur l’approvisionnement en pierre locale
Dans le cadre de son cursus du Brevet de Technicien des Métiers Supérieurs (BTMS) à l’Institut de la Pierre de Rodez (Compagnons du Devoir), l’étudiant Nicolas Druelle a présenté un mémoire de recherche de fin d’étude concernant la pierre. Il a choisi de cibler l’approvisionnement en pierre locale. Cathie O’Neill (alors directrice ABPS) a été la tutrice de ce mémoire. Le travail de Nicolas Druelle comporte une étude de marché sur un territoire assez vaste qui inclut le périmètre UNESCO Causses et Cévennes, ainsi que l’Ardèche.
Cette étude démarrée en 2015 a été poursuivi en 2016 : des questionnaires ont été élaborés et envoyés aux carriers, professionnels de la pierre et aux donneurs d’ordres des Cévennes, de l’Aveyron et de l’Ardèche. Les réponses obtenues de 30 prescripteurs, de 19 exploitants carriers, et de 38 professionnels de la pierre (maçons, bâtisseurs, tailleurs, lauziers), soit 20% des professionnels contactés, permettent de comprendre la situation, les besoins des professionnels, d’identifier les freins et les leviers du marché et de récolter les propositions et commentaires. Des pistes concrètes pour améliorer l’approvisionnement en pierre locale sont préconisées suite à cette analyse.